La nuit de l'étrange (10)
"Alors... Par où commencer ? murmura la jeune femme en touillant pensivement sa tasse de thé. Elle demeura pensive un bref instant, puis reprit :
- Bon, le pentagramme est une étoile à cinq branches. On ne l'appelle pentacle que lorsque cette étoile est inscrite dans un cercle - comme celle de notre tueur. Ensuite, il a plusieurs symboliques. Les pythagoriciens en font le symbole de l'harmonie et de la beauté en général, et de l'homme parfait en particulier. Léonard de Vinci a repris cela, d'ailleurs, avec son homme de Vitruve. Vous savez, l'homme qui est représenté dans un cercle ?
- Oui, je vois très bien de quoi tu parles. Il a quatre bras et quatre jambes, non ?
- C'est bien cela. Pourquoi cette symbolique ? Parce que le chiffre cinq représenterait l'accomplissement, l'union des inégaux, vu qu'il représente la somme de 2 et de 3, l'union du féminin et du masculin. Mais ce n'est pas tout ! Les gnostiques, eux, y voyaient le symbole des cinq éléments : esprit, eau, feu, terre, air. Les cinq éléments chinois correpondent aussi à un pentagramme : feu, terre, métal, eau, bois.
- Je vois, c'est toujours une question d'harmonie, en fait, constata Nils. Mais dans un domaine différent,qui fait penser à la magie, plutôt.
- Hé oui... ça explique pourquoi il est considéré comme un symbole de magie : si la pointe est orientée vers le haut, c'est de la magie blanche ; si elle est pointée vers le bas, par contre...
- C'est de la magie noire ?
- Tu as tout compris, sourit la jeune femme. Elle but une gorgée de thé.
- Intéressant... Mais ça n'explique toujours pas les motivations du tueur, son pentagramme pointe vers le haut... remarqua l'inspecteur Legris en passant la main sur son crâne, l'air pensif.
- A moins qu'il ne soit dérangé, et persuadé d'accomplir un rituel de magie blanche, tu ne crois pas ?
Les deux enquêteurs échangèrent un regard. Encore une fois, songea Nils, frustré, elle avait une longueur d'avance sur lui. Comment était-ce possible ? Néanmoins, il reprit !
- C'est probable, mais j'aimerais entendre la suite de tes explications sur le pentagramme avant de faire des hypothèses pareilles.
- Tu as raison. J'ai tendance à vouloir aller trop vite, s'excusa Angelica d'un air gêné. Alors, j'en viens aux chrétiens : ils y voyaient le symbole des cinq plaies reçues par le Christ lors de sa crucifixion. Les blessures aux mains, aux pieds, et celle causée par la lance d'un soldat romain, si tu préfères. Et puis, autre symbolique qui peut éventuellement être en rapport avec notre affaire, je pense : les francs-maçons le représente avec des pointes enflammées. Du coup, ils l'appellent "l'étoile flamboyante".
- Très original, ironisa Legris.
- Pas trop, en effet, répliqua-t-elle avec sérieux. Mais il y a une bonne raison à cette appellation : ce pentagramme enflammé représente pour eux le soleil bienfaisant qui éclaire l'Humanité. Mieux : cette étoile de feu symbolise la connaissance. Au centre, les francs-maçons inscrivent un G pour Gnose, d'où mon affirmation.
- Hmmm... Et en quoi cette symbolique-là nous aiderait-elle ? Penses-tu vraiment que le meurtrier se prendrait pour un homme éclairé capable de prodiguer la connaissance aux autres en les tuant ?
- Oh, tu peux toujours ricaner ! simplement, je pense qu'il y a peut-être plus qu'on ne le croit derrière ces flaques de sang.
- Possible... Mais cette dernière hypothèse n'est pas la plus logique.
- Il n'y a pas de logique derrière le comportement d'un dérangé.
- Alors, pourquoi les plus célèbres serial killers de l'histoire ont-ils tous fait preuve d'un raisonnement implacable ?
- Hé bien....
- Tu vois ? triompha Nils, ravi. Enfin, il avait trouvé une faille en l'un de ses raisonnements !
Angelica marqua une hésitation, ses beaux yeux reflétant sa confusion.
- Je doute que celui-là soit logique, murmura-t-elle enfin. Au vu des choix qu'il a fait, c'est un homme superstitieux. Donc, irrationnel.
- Hum, là, tu marques un point... Tu sais que tu m'épates ? Chaque fois que je pense avoir raison, tu me démontres le contraire.
Angelica rougit.
- C'est un compliment ou un reproche, inspecteur ? s'enquit-elle.
- A toi de voir, collègue, s'égaya-t-il. Bon, et si tu finissais de boire ton thé ? On a du pain sur la planche. Je te rappelle qu'on doit retourner sur les lieux du dernier crime."