La nuit de l'étrange (7)
Quand l'inspecteur Legris parvint sur les lieux, la police avait déjà installé un cordon de sécurité. Il chercha Angelica du regard, en vain.
"Tu cherches quelqu'un ? demanda une voix douce derrière lui.
Il sursauta. Quand donc était-elle arrivée ?
- Toi. Mais on dirait que tu m'as trouvé. Allons examiner cela de plus près, veux-tu ? enchaîna-t-il en esquissant un geste de courtoisie pour l'inviter à passer devant.
- Bien sûr..." acquiesça-t-elle en souriant.
En silence, ils approchèrent et leur regard inquisiteur parcourut l'endroit. Ils se trouvaient sur un sentier, plus qu'une rue, qui longeait en contrebas un bois touffu et des halliers. En temps normal, ce chemin n'était pas éclairé ; heureusement, à leur arrivée, ils s'étaient vu remettre des torches par le commissaire qui, pour une fois, ne paraissait pas si jovial. Cette rue obscure ne donnait sur rien. Elle s'achevait brusquement sur un mur en ruine qui surplombait le paysage environnant, tel le perchoir de quelque antique gargouille. Là, Legris aperçut, au sol, dans le faisceau de sa puissante lampe de poche, la flaque de sang désormais familière. Le liquide aux reflets rubis s'éparpillait sur le goudron craquelé, s'insinuait dans les lézardes, donnant l'impression que c'était le sol qui saignait par ces plaies béantes. Puis, le rond blanc de la torche de sa coéquipière, qui demeurait ciblé sur le mur, attira son attention. Il laissa échapper une exclamation.
"Là, on a du nouveau", grommela-t-il en sortant son appareil photo. La jeune femme ne répondit pas. Intrigué, il jeta un coup d'oeil dans sa direction : comme paralysée, elle ne bougeait pas un muscle, la mâchoire serrée, une lueur étrange dans le regard. De la peur ? de la colère ? du dégoût ? Non, décida-t-il, c'était autre chose. Il l'interrogerait là-dessus plus tard.
Ce ne fut que lorsque le flash de son appareil eût vivement éclairé les lieux qu'elle se décida à parler.
"Ces inscriptions sont écrites avec du sang, inspecteur ? Mes yeux ne me jouent pas de tour ?
- En effet.
Fronçant le sourcil, il lut à voix haute :
- Sanguis sanguinem appellat... Mais qu'est-ce que c'est que ce latin de cuisine ?
Tout son être se révoltait. Lui, qui avait si longtemps étudié le latin, ne pouvait supporter cette inscription qui abâtardisait la langue de César.
Sous l'inscription écrite en lettres irrégulières, était représenté un cercle qui contenait une figure inachevée.
- Et que peut bien signifier ce... ce dessin ?serait-ce un symbole ? Mais de quoi ?
Il baissa la tête et s'absorba dans la réflexion, mais il ne parvenait pas à donner un sens à cet étrange gribouillis. AU bout d'un petit instant, la voix claire d'Angelica rompit le silence :
- Nils...
- Oui ? Perdu dans ses pensées, il avait presque oublié la charmante Da Luz.
- As-tu déjà pensé à relier sur une carte les lieux où chaque victime a disparu ?"
Bon sang, comment faisait-elle pour avoir de tels éclairs de génie ? Elle avait sans doute raison : le diagramme inachevé devait correspondre à l'emplacement des meurtres. S'ils parvenaient à comprendre quel serait l'aspect final du dessin, ils pourraient peut-être devancer le meurtrier sur la prochaine scène de crime. Le regard de compréhension qu'il échangea avec Angelica fit comprendre à celle-ci qu'il avait adopté son point de vue sur l'affaire. Ses lèvres s'étirèrent en un charmant sourire de réconfort, et il sembla à l'inspecteur Legris ébloui que le soleil se levait en pleine nuit. L'espoir de pouvoir enfin avancer dans cette maudite enquête l'envahissait.