La nuit de l'étrange (8)
"Nous reviendrons au matin, décida Legris quand il fut certain qu'il n'y avait rien d'autre à trouver. Là, il fait trop sombre, nous pourrions rater un indice."
Mlle Da Luz acquiesça tandis que l'inspecteur la regardait fixement. Même dans l'obscurité, son visage paraissait lumineux, songeait-il, un peu distrait. Par contre, une ombre de tristesse ternissait son regard depuis qu'il l'avait vue tétanisée face au message en lettres de sang sur le mur. Cette réaction montrait qu'elle était était humaine, après tout. Cela le rassurait.
Après un dernier regard vers la flaque d'hémoglobine, ils se détournèrent et rebroussèrent chemin en silence, côte à côte, sous le regard du commissaire. Ils ne se dirent plus un mot avant de se séparer sur un "au revoir" préoccupé.
De retour chez lui, Nils ne parvint pas à trouver le sommeil. Il s'installa donc à son bureau, un plan de la ville sous les yeux, la conversation qu'il avait eu avec sa coéquipière sur la scène du dernier meurtre en tête. Elle avait suggéré l'idée que l'emplacement des meurtres pouvait avoir son importance, correspondre au symbole sur le mur. Il se mit donc à marquer en rouge sur le plan l'emplacement des différent crimes.
"Bon sang" marmonna-t-il, tandis que se devinait sur le plan une figure ronde. Il relia les points entre eux pour mettre le cercle en évidence.Cependant, il le faisait plus plus par acquis de conscience et par souci du travail bien fait que par véritable nécessité : la figure géométrique ainsi formée se devinait sans cela.
Pour l'instant, cinq crimes avaient été repérés, cinq points disposés en cercle sur le plan. On pouvait soit les relier pour en tracer un disque, comme l'inspecteur avait choisi de le faire, soit les voir comme les cinq angles d'un pentagone. Il se rappela que sur le mur, le dessin tracé par le meurtrier représentait bien un cercle marqué de cinq croix ; mais en plus, le point situé en bas à droite était relié à celui du haut. L'inspecteur reproduisit donc ce segment sur le plan, avant de considérer l'ensemble avec attention.
"Etrange, murmura-t-il, on dirait... mais oui !"
Fiévreusement, il ouvrit son calepin et en feuilleta les pages, jusqu'à ce qu'il tombe sur le nom de M. Dolmert, le plus jeune des suspects. Il relut ce qu'il avait écrit à son sujet :
"M. Dolmert Paul , 24 ans. Etudes brillantes en lettres modernes. CAPES passé du premier coup. Thèse de maîtrise sur la littérature ésotérique. Poursuit actuellement des études par correspondance pour approfondir le sujet en doctorat."
Bon. Cependant, un lettré écrirait-il en latin de cuisine ? Non, à moins qu'il ne veuille écarter les soupçons. A tout hasard, il relut aussi la fiche de M. Elohim Jacques, qui, avant de passer les concours du trésor public, avait écrit un recueil de poèmes sur les symboles et l'alchimie - recueil qui par ailleurs était passé inaperçu dans les librairies. Etait-il possible qu'il tue par frustration suite à son manque de succès ? Il faudrait que Nils se procure ses poèmes, éventuellement : les écrits d'un homme ou d'une femme en révèlent parfois beaucoup sur sa personnalité... Oui, mais... ce suspect-là avait une famille ! Il serait délicat de mettre en doute son intégrité.
Malgré tout, l'inspecteur décida que le lendemain, il rendrait visite à ces deux suspects. En attendant, il devait immédiatement faire part de ses découvertes à Angelica. Il saisit le téléphone.
"Pourvu qu'elle ne dorme pas déjà !" pensa-t-il tandis que ses doigts volaient sur le clavier.
Elle était encore éveillée.
"Oui, inspecteur ? demanda une voix lasse mais polie.
- Agent Da Luz, lança-t-il, reprenant pour son compte le formalisme qu'elle avait adopté en l'appelant par son grade. J'ai une piste. Le dessin tracé au mur n'est autre qu'un pentagramme inachevé et comme vous le pensiez, la disposition géographique des crimes y correspond. Vous vous y connaissez en symboles ?"