La nuit de l'étrange (21)
La première famille disposée à rencontrer l'inspecteur Legris était celle de Juliette Corazon, la dernière victime. D'origine espagnole, le père était venu vivre ici pour suivre son épouse, une Française recontrée à Santander, lors d'une réunion pour affaires. Il avait tout fait pour s'intégrer, et avait fini par obtenir la nationalité de son nouveau pays. La naissance de leur fille avait couronné tous leurs voeux, et elle avait répondu à toutes leurs espérances. Jusqu'à ce que...
"Jusqu'à ce qu'elle rencontre ce joven, ce... hésita M. Corazon.
- ... ce jeune homme, compléta paisiblement son épouse.
- Si, c'est bien ça. Nous, nous lui avons dit qu'il n'était pas pour elle ! Ses parents sont...
- Ils n'aiment pas les immigrés. Même ceux qui ont obtenu la nationalité française, et quelle que soit leur origine.
- Et vous leur avez donc interdit de se voir ?" questionna Nils.
Le père hésita, mais son épouse répondit sans attendre :
"Non. Nous lui avons dit qu'elle ne serait pas heureuse avec lui. C'est tout.
- Je vois. Donc, elle l'a mal pris, et elle a continué de le voir en secret ?
- Si, exactement, señor. Nous nous doutions bien qu'elle n'allait pas chez ses copines le soir, mais nous ne voulions pas qu'elle se mette en colère et qu'elle se renferme encore plus, pués... nous n'avons rien dit."
Nils nota quelqe chose dans son carnet, songeur. Une fille trop gâtée, ou bien ?... Voilà pourquoi il n'aurait jamais d'enfants ! A l'adolescence, ils lui paraissaient trop difficiles à gérer. Il releva le regard sur le couple, et reprit l'interrogatoire :
"Quand avez-vous découvert qu'elle allait dans les ruines du rempart le soir venu ?
- Hé bien... nous l'avons découvert dans le journal... avoua, penaude, la mère, pendant que son époux baissait la tête.
Sans juger, Nils poursuivit :
- Depuis, avez-vous eu l'idée de contacter le jeune homme qu'elle rencontrait là-bas ?
- No, señor, murmura M. Corazon en passant la main dans les cheveux, gêné.
- Nous ne voulons rien avoir à faire avec ces gens ! ajouta son épouse, une lueur de défi dans les yeux.
- Bon... se contenta de dire le policier en prenant d'autres notes. Tout en écrivant, il demanda :
- Pourriez vous me transmettre son nom et ses coordonnées, ou celles de ses parents s'il vit chez eux ?
- Oui... attendez, je vous le note sur un papier... voilà ! M. et Mme Roméo Jacques. Le garçon s'appelle François-Pierre. Bon courage avec eux..."
L'inspecteur les remercia tout en prenant le post-it que lui tendait Mme Corazon. En prenant congé, il repassa en esprit ce qui avait été dit. On lui cachait quelque chose, il le sentait. Les réactions du père étaient parlantes. Oui, il soupçonnait que les deux familles étaient entrées en contact au sujet de leurs enfants, et que tout ne s'était pas bien passé.
Il y avait un numéro de téléphone sur le post-it. Legris sortit son cellulaire et le composa. Il voulait en avoir le coeur net. Et sans traîner.